Notre survie, un enjeu transdisciplinaire
Deuxième conférence donnée lors du TEDx Place du capitole le 14 Janvier 2012 (La première est visible ici).Si la vidéo ne s'affiche pas, mettez à jour votre navigateur internet. Internet Explorer 9.0 - Safari 5.1.7 - Firefox 29.0.1 - Chrome 27.0 requis au minimum.
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Notre survie, un enjeu transdisciplinaire.
Le complexe ne se résume pas à une somme de réalité simple.
Re-bonjour. L’autre jour, ma femme me dit « il faut que je rachète un appareil photo » «Ah bon, il est en panne ?» lui répondis-je. «Non, il est trop lent à déclencher pour photographier mes élèves en mouvement, et par rapport à celui de ma collègue, c'est le jour et la nuit...» Intérieurement, je me dis : nous y voilà, l'appareil que je lui ai offert il y a quelques années pour la naissance de notre premier enfant est devenu mauvais, non pas en soi, mais juste par comparaison. Encore la faute au progrès qui nous pousse sans cesse à réviser à la hausse nos besoins (je mime des guillemets). Je lui dis très simplement «Achète le même que ta collègue» «Oui, mais son appareil est sorti il y a deux ans, il y a sûrement encore mieux maintenant. Toi qui connais les appareils, tu peux m'aider à choisir?». Vous le savez sans doute, je suis un ingénieur photographe. Je vous passe les détails de la suite de la conversation mais on se retrouve sur le site internet d'une grande enseigne spécialisée à comparer des diagrammes tels que ceux-là: On affiche le slide suivant :
Elle me dit «Regarde, c'est bizarre, le premier est plus rapide, pourtant son autofocus est moins bien noté...» Je ne me démonte pas : «Les techniciens de ce magasin ont des protocoles bien particuliers, font plusieurs mesures et calculent enfin la moyenne. Encore une fois, tu devrais acheter le même appareil que ta collègue...» Oui, mais voilà, les designers ayant encore réussi à ringardiser un appareil d'à peine 2 ans, ma dame voulait un modèle récent. Alors ayant compris après des années de syndicalisme, que l'essentiel ce n’est pas les chiffres mais le bonheur des gens, je craque : «prends celui qui te fait plaisir». Et Paf. Elle a acheté dans son budget la nouveauté avec le diagramme de la plus grande aire, et 2 coups sur 3, il déclenche immédiatement sans même avoir pris le temps de faire la mise au point. Bref, un appareil pitoyable.
Dépitée, elle me dit «Dans le test, c'est pourtant celui qui a la meilleur note, c'est mensonger alors ?» « Mais non, ils font des tests rigoureux, et répétitifs, à tel point que les constructeurs optimisent leurs appareils pour les conditions précises du test et du coup, ils ne sont plus aussi bons dans les conditions générales. Mais que veux-tu ! Ils n'ont pas d'autres choix car personne n'achèterait un appareil mal noté...»
Elle est enseignante. Elle sait qu'une bonne note n'indique pas forcément que le sujet est maitrisé mais juste que la bonne case a bien été cochée... Mais les indicateurs sont souvent plus forts que la réalité, quelle plaie ! C’est à travers cette anecdote que j'arrive exactement au cœur du propos que je veux partager avec vous.
Ces diagrammes, ces « surfaces » ne sont qu’une illusion. Insidieusement, les chargés de marketing qui mettent ces diagrammes en avant dans leur brochure amènent le consommateur à faire plusieurs erreurs. On affiche le slide suivant :
l'erreur de croire que :
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Premièrement, l'erreur de croire que les qualités ressenties d'un appareil se résument à la mesure de 7 axes alors que les cas de figures de la photographie représentent plusieurs milliards de combinaisons. Deuxièmement, l'erreur de croire, que les critères sont indépendants. Par exemple, que la sensation de définition est dépendante des items flash, autofocus, sensibilité, optique, etc. Les critères sont en réalité liés. Et surtout, troisièmement, l'erreur de relier les points. De nous faire croire qu'à l'intérieur du diagramme, tout est bon. On affiche le slide suivant :
Les modélisations peuvent réduire notre vision |
On affiche successivement les 4 images : En réalité, l'image des qualités d'un appareil photo ne se résume donc pas à ça, ni cela, même pas ceci, peut être même pas à cela ?
La réalité est très complexe. Cela va devenir de plus en plus dur de comparer deux produits. On affiche le slide suivant : écran noir.
(Pourtant) la survie nécessite une analyse rapide et donc simple
Mais d'où vient donc notre volonté de toujours simplifier abusivement les choses ? Silence. Trêve de suspense, cela provient d’après moi, de notre instinct de survie !
En effet, les animaux de tout temps doivent résoudre le problème aigu de l'alimentation. Il est fondamental de prévoir où l'on pourra trouver demain la nourriture qu'il nous faut. Il nous faut donc identifier comment et où les choses se reproduisent. On doit analyser notre environnement. Ensuite on doit le modéliser pour le prévoir. Si nous avons fait correctement ce travail, alors nous saurons où être pour trouver l'eau et le gibier. Si notre capacité d’analyse est bonne, nous saurons à quelle saison il nous faut migrer vers d'autres lieux, quel fruit manger et quel champignon éviter.
Notre survie dépend de notre capacité d'analyse, car celle-ci nous permet de prévoir. Et il faut savoir le faire vite, car sinon nous passerons du statut de prédateur à celui de proie. D’où cette idée curieuse de vouloir résumer un appareil photo à une notation en 7 chiffres. Dans ces rayons bondés à Noël, on a tous connu ce désarroi, où perdus il nous faut choisir un produit parmi des dizaines, n’est-ce pas ? Silence. Choisis le plus grand diagramme ! Ah d’accord, c’est simple et efficace. Voici la clé de notre survie dans ce monde qu’il soit préhistorique et simple ou moderne et complexe : une analyse rapide.
Notre civilisation en plein essor nécessite sans cesse plus de capacité d'analyse. Le philosophe Français René Descartes, a écrit en substance que tout problème complexe doit être divisé en une somme de problèmes simples. Ainsi, avec méthode, l'humain peut résoudre rapidement les problèmes sans cesse plus élaborés qui se dressent devant lui.
Devant la quête immense du savoir universel, nos écoles divisent cette tâche en différentes disciplines: Langues, Mathématiques, Sciences, Arts... On affiche le slide ci-contre. Puis on redivise encore, le français par exemple en grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire... Les corps de métiers également se subdivisent, de nos jours, ingénieur informaticien spécialiste de la « sécurité de l’internet » par exemple, est complètement différent d’un ingénieur informaticien spécialiste de la « conception de site internet ». Les humains dépensent une immense énergie pour comprendre leur entourage.
(qui impose) la standardisation.
Notre savoir arrivera-t-il enfin à recouvrir le monde lui-même ? Et bien pour l'instant, je pense que c'est très mal parti ! Pensez à cela : une Université spécialisée en droit ! Une université spécialisée en économie. C’est curieux non ?
Notre univers est segmenté, catégorisé, en un mot digitalisé. Il n'y a pas de savoir continu, mais des savoirs parcellaires. C’est comme pour les tests des appareils photo, notre savoir ne forme pas un polygone. Ce que je ressens, c’est que le savoir, et par extension le monde lui-même, ressemble à une étoile. On affiche le slide ci contre. Ou à un soleil, à un oursin, à un hérisson, c'est à vous de voir. Chaque branche de l'étoile représente une discipline, une direction de recherche, une voie de progrès…
Cette décomposition du complexe en sommes de sujets simples aboutit à la standardisation, la théorie des cases. Vous voulez un budget pour vos recherches, choisissez une case pour votre thèse. Vous voulez un emploi, choisissez un métier d’abord ! Qui n’a jamais vécu l’ambiguïté d’être entre deux cases ? Silence.
Qu'il y a t-il entre les branches de l'étoile ? Rien, du néant ? Peut être plutôt du danger... Danger, car dans notre concept de survie, l’inconnu est moins sûr que le connu. Mais pas seulement.
Danger, car si vous créez une nouvelle discipline, vous réduirez la domination de ceux qui sont aux sommets adjacents. Vous allez diluer leurs savoirs. Leur aplomb sur le monde s'en retrouvera réduit. Chaque chercheur s'efforce d'être au sommet. Chaque personne essaye de briller au sommet d’une branche d’étoile. C'est encore une histoire de survie. Il s'agit de l'instinct de survie des élites cette fois-ci. On affiche le slide suivant : écran noir.
Survivre implique de se reproduire « à l’identique ».
Il y a-t-il d’autres raisons pour que cela ne change pas ? Bien sûr. Dans ce monde complexe, rien ne s’explique par un seul paramètre. Si cela ne change pas, c'est aussi à cause de nous tous. Par exemple, ne dit-on pas souvent aux enfants « Que veux-tu faire plus tard ? » Silence. Tout cela est extrêmement bienveillant mais l’air de rien cela les conditionne au fait que leur vie se résumera au choix d’une rubrique dans les pages jaunes. En même temps, je vous le concède, si on veut aboutir à un résultat sûr, il est plus prudent de choisir une solution éprouvée. Ici, c'était choisir un bon métier pour assurer son avenir.
Mais il y a des exemples plus futiles tout aussi graves. L'autre jour, un de mes enfants jouait de la guitare, caisse de résonnance vers le haut. Je lui repositionne alors la guitare dans le sens conventionnel en lui disant «cela sera plus pratique comme cela». Mais qu'est-ce que j'ai fait là ? Heureusement que le père d'Hendrix n'a pas fait pareil avec son fils, le rock aurait raté quelque chose.
Bref, des principes comme « reproduire pour assurer » «standardiser pour économiser», «organiser pour diriger», «segmenter pour mieux adresser», «diviser pour mieux régner» sont à la base de notre civilisation moderne qui a pu ainsi progresser à une vitesse vertigineuse au cours des deux derniers siècles.
Notre civilisation est une organisation incroyable. C’est comme si l’humanité était un gigantesque corps humain, où chaque organe serait un « ministère » différent, où chaque cellule serait un individu. Pour arriver à ce niveau de complexité et d’optimisation, il a fallu plusieurs millions de générations d’êtres vivants et donc au final d’acteurs de la société. Une fonction de reproduction est donc nécessaire pour assurer sa survie et son développement. Aussi elle a su organiser le remplacement à l’identique de chacun de ses membres. Des écoles pour chaque spécialité, des fiches de postes pour chaque emploi et ainsi de suite. Et il est important que chacun se tienne à son poste, sinon le chaos serait assuré. Gare à l’utopiste ou au révolutionnaire qui voudrait changer le monde, faire muter notre civilisation. Dans sa préoccupation de survie, elle a développée des anticorps spéciaux contre ces empêcheurs de tourner en rond : les qualificatifs tel que « fantasque », « fou » et « déviant ». Sur un ton de plus en plus lent.
Dégénérescence.
Ainsi notre société attend de nous que nous exécutions une tâche bien déterminée. Cette organisation basée sur la spécialisation est aujourd’hui touchée de deux maladies. D’une part, à force de considérer que cette humanité est la chose primordiale à conserver, n’oublions pas que l’instinct de survie est la première condition de développement d’une espèce, elle a négligé le substrat de notre vie, c'est-à-dire la planète Terre, impliquant bon nombre de dégâts. La prise de conscience écologique essaye de pallier cela. La deuxième maladie, est que de nombreuses cellules sont malheureuses. Pourquoi ? Elles contiennent un immense potentiel, l’ADN, mais elles ne doivent en exprimer qu’une infime partie pour accomplir la mission que la société leur a attribuée. Cela me rendait malheureux.
Par exemple, je ne devais être qu’un ingénieur dans mon entreprise. Je ne devais pas essayer de m’immiscer dans les choix économiques, les choix politiques de mon entreprise. Je ne devais pas exprimer mon côté idéaliste, mon côté affectif, spécialement quand on me demandait de concevoir un produit à la durée de vie limitée, pour qu’il casse juste après la fin de la période de garantie. Mais que voulez-vous ! Notre monde économique est calqué sur la loi de la jungle : manger ou être mangé. Encore l’instinct de survie ! Nos valeurs morales sont sans cesse effacées par la maxime « si ce n’est pas moi qui le fait, un autre le fera à ma place ». Et nous avons tous dans des proportions variables à éclipser une partie de nos valeurs pour assurer notre survie financière. Cela nous rend malheureux.
Mais c’est bien nous qui sommes responsables de l’état du monde. Nous projetons notre croyance sur la route de nos actions. Prenez une goutte d’encre et faites là tomber sur ce monde rude et rêche qui pourrait être représenté par une feuille de papier de verre. Et que verrons-nous ? On affiche le slide ci-contre. Un monde segmenté, des élites détachées de la base, un monde bien sombre en sorte.
Pourtant ce n’est pas l’envie de changer le monde qui nous manque, souvent entre amis d’ailleurs au cours de soirées passionnées, ou d’après midi TEDx, on dessine l’esquisse d’un futur meilleur… Pas vous ? Silence. Et pourtant, le lendemain on retourne travailler. Et oui, si cela ne change pas, c’est parce qu’il est bien plus facile de se reproduire à l’identique que de vouloir muter. Et heureusement pour nous. Si nos cellules mutaient facilement, cela serait le début de la fin !
La transdisciplinarité, clé de la survie dans un monde complexe.
Notre monde moderne est-il condamné à être si noir ? Refaisons le monde ensemble. Partons de la feuille blanche, vierge de nos croyances. Lâchons la même goutte. Que voyons-nous ? On affiche le slide ci contre. Cette fois-ci un monde uni, une couleur apaisante, avec quelques leaders qui maximisent le champ des possibles pour le plus grand nombre.
On affiche le slide ci-contre. Notre monde, à force de se reproduire et donc d’amplifier ces défauts, a besoin d’idées nouvelles. Il faut accepter d’avancer vers l’inconnu et de nous mettre en péril. Re-mélangeons les matières, les disciplines les tendances. Il ne faut pas se focaliser sur les différences mais sur les similitudes. Progressivement, On affiche le slide ci-contre il faut sortir des sentiers battus. Oser créer des branches entre les branches. Mélanger des matières entre elles, utiliser toutes les ressources qui sont en vous au service des valeurs que vous chérissez.
Le but ici est simple. Arriver progressivement à l’harmonie. On affiche le slide ci- contre. Nous devons avant tout choisir de nous épanouir. Attachons-nous à remettre en cause les barrières qui cantonnent notre profession, notre vie, notre pensée. C’est une révolution individuelle qu’il faut savoir gérer. Nous sommes alors libres d’exprimer tout le potentiel qui est en nous.
Le choix de promouvoir l’individu s’est révélé un moteur extrêmement puissant pour asseoir le développement de notre économie contemporaine. Osons transposer ce puissant concept à celui du bonheur. Pour arriver à l’harmonie globale, visons notre propre harmonie intérieure. Il faut oser se secouer, mélanger tout ce qui est en nous et le mélanger à ce qui nous entoure….
Mon expérience
Au fait, est-ce que cela marche ? Silence.
Il y a 7 ans, je commençais à déprimer au travail, cantonné dans mon univers d’ingénieur, malgré mon passage cadre supérieur et expert technique. J’ai alors douté sur les conditionnements qui m’avaient plongé dans l’erreur. Je pensais que pour assurer mes besoins vitaux, il me fallait de l’argent, et donc avoir un travail bien rémunéré. Mais c’était oublier que ce qui nous différencie du règne animal, n’est pas ce que nous mangeons, mais ce que nous pensons.
La richesse dont j’avais besoin n’était donc pas financière mais culturelles, spirituelles, émotionnelles. En plus elles sont partageables à loisir, sans impact écologique et surtout sans limite.
Alors j’ai revu mes points de vue et croyances pour trouver le moyen de survivre dans ce monde complexe. Il y a 500 ans, il suffisait de prier pour mériter un lendemain meilleur. Il y a 50 ans, il suffisait de travailler pour s’acheter un lendemain meilleur. Et bien, il y a 5 ans, pour ma propre survie, j’ai tout simplement décidé d’être moi.
J’ai alors mélangé toutes mes compétences et centres d’intérêts, ingénierie, photographie, sciences, philosophie, syndicalisme, esthétisme pour faire des œuvres d’arts, basées sur des phénomènes scientifiques, et traitant de l’homme.
Toutes ces photos sont sans trucage. Avec la force que nous donne un véritable épanouissement, on peut accomplir des choses extraordinaires. Fin du slideshow. On affiche le slide suivant : écran noir. Ce cocktail viole le principe de cloisonnement des disciplines. Mais cette transdisciplinarité, recherchant naturellement l’harmonie, me vaut aujourd’hui bien des honneurs, dont celui d’être ce soir avec vous.
Tous ces propos ne sont-ils que ceux d’un utopiste ? On m’avait dit lors de ma scolarité que le cercle parfait n’existait pas dans la nature. Et bien si on dépose délicatement une goutte d’huile sur de l’eau, On affiche le slide ci-contre. et bien nous percevons bien le contraire. L’huile n’étant pas miscible, elle forme une lentille : c’est comme si le jour se levait sur un nouveau monde.
Conclusion
Alors oui, cela marche. Vous devez doutez, mais vous devez aussi me croire. La transdisciplinarité est la clé de ma survie intellectuelle, et du même coup, de ma réussite personnelle. J’ai dû débloquer des verrous de mon intellect pour oser progressivement faire ces mélanges toujours plus hétéroclites. Maintenant libéré de la peur de ne plus être dans une case, mon esprit ne s’est jamais senti aussi vivant. J’avance dans l’inconnu de découverte en découverte.
Alors osez concevoir le téléphone qui fera le café. Osez ignorer l’avis des experts ou autres moralisateurs qui ne cherchent qu’à garder leur main mise sur leur petit secteur. Osez rêver un monde différent. Il en a besoin. L’univers des possibles n’a en fait pas de frontière. DOUTEZ de l’ordre établi, puis OSEZ IMAGINER. Je vous remercie.
Jacques HONVAULT