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13 minutes : Mouvement et existence

Le 3 mai 2012 - Université DIDEROT - Paris 13.



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Introduction

Bonjour, (Depuis le début de l’entrée des spectateurs, la régie projette l’œuvre « la vie ? », captation live en synthèse différentielle). Je vous ai accueilli aujourd’hui avec une déclinaison grand format de mon œuvre de vidéo interactive « la vie ? ». Vous avez bien évidemment compris que lorsque vous restez immobiles, vous devenez invisibles. Les plus curieux, l’esprit sans cesse en marche, sont sans doute en train de se demander « Comment cela fonctionne-t-il ? Et comment a-t-il eu cette idée ? » Je vais vous répondre. Il me reste 12 minutes.

Rétrospective Photo

Je me suis lancé il y a quelques années dans l’engineering art. J’utilise donc toutes mes connaissances d’ingénieur pour faire des œuvres, que cela soit des photographies, des sculptures, des installations. Celles-ci ont toutes en commun ma discipline de prédilection : la science. Mais mon intérêt pour les questions humaines fait qu’aujourd’hui, mes œuvres sont dictées métaphoriquement par des réflexions d’ordre philosophique et sociale. (On fait défiler les photos)
Puberté, un ballon rempli d’eau qui rebondit, Consumérisme, un voile de savon, La contestation, un cheveu sur l’eau, La relativité des savoirs, des DELs clignotantes sur une roue de vélo, ou encore L’ouverture d’esprit. Pour celle-ci par exemple, on pense tous savoir dans un premier temps comment un liquide s’écoule. Pourtant, on a beau retourner l’image dans tous les sens, cela ne s’explique pas. Alors que la solution se base sur un piège tout simple : la pesanteur. Cette force qui nous attire tous au centre de la terre, fait que la surface des liquides au repos est horizontale. L’horizon est donc ancré dans notre esprit comme symbole de stabilité. Or cette table horizontale est en fait en mouvement. Un making of est visible sur mon site internet. (La régie projette un extrait accéléré du making-of ouverture d’esprit). Je la photographie à l’exact moment ou elle passe par l’horizontale. Le verre est bien sûr collé à la glue mais vous pourrez découvrir tout cela sur mon site. Il faut donc faire preuve d’ouverture d’esprit pour casser la symbolique « horizontalité égale stabilité » pour accéder à la réalité qui se cache derrière cette œuvre. Le flash ayant figé le mouvement, il n’existe plus de manière visible sur la photo, alors cette dernière devient tout bonnement impossible, ou nécessairement truquée. Pourtant vous devez savoir que tout mon travail est justement basé sur le fait que je ne mens pas sur les phénomènes de sciences que j’exploite. La science est mon médium, l’homme mon sujet…

Illustrer la civilisation

Il y a 2 ans, c’est je voulais trouver le moyen d’illustrer l’activité humaine. Ne dit-on pas souvent « il faut se bouger », « il faut avancer dans la vie », « pas de place pour les secondes places », « le hasard est dans l’immobilité », « aller de l’avant »… ? Le progrès n’est-il pas insidieusement associé à l’idée de mouvement ? De même d’un point de vue biologique, quelle est la différence fondamentale entre l’organique et le minéral ? N’y a-t-il pas la notion clé d’un mouvement au service d’une fonction ? Il me fallait donc trouver le moyen de mettre en avant ce qui bouge et mettre en retrait ce qui ne bouge pas.

La synthèse différentielle

J’ai alors mis au point mon procédé de « synthèse différentielle ». Dans une première application photographique, je prends deux imagess depuis exactement le même endroit avec le même cadrage, puis je « soustrais » numériquement la valeur de chaque pixel qui compose l’image. (La régie projette un extrait accéléré du making-of synthèse différentielle). Ainsi, on perçoit uniquement les mouvements ou les changements de luminosité. Nous pouvons ainsi nous promener sur les champs Elysées comme jamais auparavant. Nous voyons quelle distance parcourt un piéton en une seconde, et à l’inverse nombre de voitures deviennent invisibles du fait de leur immobilité aux feux rouges. On s’aperçoit aussi qu’en cet instant, les feuilles des arbres ne prennent pas toutes le vent de la même manière. Ce qui ne bouge pas, n’existe pas.
Où ici, comment le viaduc d’Austerlitz s’affaisse de presque 3 centimètres au passage de la rame de métro de 125 tonnes.
Ou encore la tour Eiffel. La vue de gauche est prise avec les premiers rayons du soleil, à 7h00 du matin, Celle de droite est prise à 14h00 sous un soleil éclatant. Ce jour-là, la différence de température était de l’ordre de 20 degrés. La tour d’acier mesurant 325 mètres, se dilate et grandit donc de 8 centimètres. Les couleurs vives ne résultent d’aucune colorisation manuelle et le décalage entre les deux tours d’aucun trucage. (Fin du film).

Le passage à la vidéo

J’ai fait en janvier 2000 une exposition au Palais de la découverte. (La régie projette quelques photos) Splendide, 36 grands formats répartis dans une galerie en courbe de presque 200 m2. Et des gens qui me connaissent me disent être allé au Palais et ne pas avoir vu mon exposition ! (La régie projette le plan de l’expo). Pourtant ils l’ont forcément traversée ! J’y retourne et j’observe. Effectivement certaines personnes sont capables de marcher le long de cette courbe sans regarder une fois les murs ! Il faut dire qu’une photo, cela ne bouge pas, alors pour ainsi dire elle n’existe pas ! Alors pour connaitre la capacité de mes enfants à être hypnotisés devant la télé, il me parait évident qu’il faut que je passe de la photo à la vidéo.

Communication et instinct de survie

(La régie projette un extrait de communication extravéhiculaire).Je remonte donc sur l’arc de triomphe, la tour Eiffel et je fais mon premier film d’art-vidéo. Je prends le flux vidéo qui est comparé à lui-même mais décalé d’une seconde. Et là, j’ai beau vouloir parler sociologie, la science me rappelle à elle. Regardez sur les files de droites, un flux clair semble remonter à contre-sens du déplacement des véhicules. Il s’agit de l’onde de communication entre les véhicules. En effet quand vous freinez, et que vous accélérez, c’est la personne de derrière qui s’adapte à votre comportement. Vous communiquez, dès que vous bougez avec l’automobiliste de derrière.
Pour prendre le temps de parler sociologie, regardons une image fixe. (La régie projette la photo Instinct de survie). Il est troublant de voir comment la synthèse différentielle illustre si bien cette volonté d’aller de l’avant : les véhicules en mouvements obligent les piétons à s’arrêter, donc à ne plus exister le temps de leur arrêt, et vice et versa. (La régie projette un zoom).Dans chaque temps d’immobilité de ces véhicules qui décuplent notre capacité de déplacement, on pourrait deviner au travers de subtiles mouvements notre lutte omniprésente d’exister néanmoins...Elle dispute son mari, il se gratte, ou lui joue au téléphone… Nous sommes là à préférer faire un détour de 20 kms plutôt que de patienter dans cet embouteillage. Nous sommes nombreux à mal supporter le non mouvement. Il me reste 6 minutes

Interactivité

Et pour m’adresser à ce monde sans cesse plus exigeant et rapide, où chaque nouveauté est passée de mode en quelques instants, je décide de passer à l’interactif. (La régie reprojette « la vie ? » captation live en synthèse différentielle).Donc, je prends une vidéo en direct, je prends la même décalé d’une seconde, je soustrais les deux pour obtenir la synthèse différentielle. Ensuite, il suffit d’ajouter à une photo des lieux pour que chaque personne qui cesse de bouger devienne invisible. En l’absence de mouvements, vous n’existez pas dans ce monde matérialiste.

Le consumérisme intellectuel

Cette quête du mouvement, du refus de l’immobilité s’est même propagée dans les sphères intellectuelles : c’est ce que j’appelle le consumérisme des idées. Nous sommes au beau milieu d’un exemple, les conférences 13 minutes, les TED en 18 minutes… Il faut qu’en un minimum de temps notre cerveau s’offre un voyage vers toujours plus de destinations intellectuelles. Accumulez, parcourir, toujours plus. Notre monde en devient frénétique. Combien d’entre vous n’ont jamais eu l’impression qu’ils ne peuvent travailler qu’à partir de 19 heures, une fois que l’agitation des bureaux est passée ? Enfin au calme dites vous, je vais pouvoir finir ce dossier… Notre monde s’enivre de bruit et de fureur, jusqu’à provoquer en nous l’overdose.
Il en est de même à cet instant, les intervenants vont se succéder, essayer de vous offrir des packages de 13 minutes nerveuses, variées et inattendues. Vous allez prendre des notes, votre cerveau va rebondir sur des dizaines de pistes… Vite, je dois me dépêcher, il ne reste que 3 minutes !

Vivre l’instant

Mais si jamais, pas forcément avec moi, peut-être avec d’autres, ce que l‘on vous dit vous touche vraiment, alors vous écouterez pleinement. Vous poserez votre stylo, et cesserez tout mouvement, captivé. Vous serez connecté en vivant pleinement chaque mot prononcé. Et paradoxalement, dans le monde matériel, vous ne serez plus rien. Totalement immobile. Totalement invisible. Mais vous existez pourtant pleinement, mais dans votre intellect, votre mental, votre conscience.
Au final, un spectateur qui devient « invisible », quitte peut-être le monde des apparences, cet univers matérialiste. Mais mon œuvre vise surtout à faire prendre conscience que si la vie dans le monde matérialiste est liée au mouvement, il est aussi possible que la vie spirituelle réside dans une forme de non-mouvement matériel, et que cette voie là est riche de progrès potentiel.

Le spirituel, à quoi bon !

Le spirituel, à quoi bon ! Les moines tibétains se lavent encore à l’eau froide. Le progrès, c’est le pouvoir de l’homme sur la nature, le déterminisme, le contrôle de la matière, la médecine, l’atome… Je vous l’accorde, en l’espace de deux siècles notre espérance de vie de notre personne a été multipliée par 2 ou 3 et les transhumanistes cherchent même à obtenir la vie éternelle. J’ai assisté à une de leur conférence. Bilan ? S’ils réussissent, ils ont peur de passer leur vie à s’ennuyer ! Un peu de philosophie ou, lâchons le mot encore une fois, de spiritualité ne leur ferait pas de mal. En plus, en raison de notre progrès, nous avons divisé par combien de fois l’espérance de vie de notre civilisation ? Qui pense probable que d’ici mille ans, une guerre nucléaire nous aura sans doute anéantis ? Les dinosaures ont eu leur temps, peut être qu’il en sera de même pour nous. Faut-il se résigner pour autant ? Non.

L’avenir est il dans le non mouvement ?

Non, surtout que dans le non-mouvement, qui est à l’opposé du matérialisme dominant, il me semble qu’il y ait un grand avenir. Essayez de vivre une trentaine de minutes, sans le moindre mouvement, sans le moindre stimulus perturbateur, sans vous gratter à chaque fois que votre corps veut vérifier qu’il peut être en mouvement. Vous sentez une paralysie vous gagner. Essayez ensuite d’arrêter votre mental, de ralentir ce flot d’idées qui déferle sans cesse dans votre esprit. Une sorte de non mouvement intellectuel. Si vous y arrivez, vous expérimenterez alors ce que les scientifiques appellent avec une précaution de bon aloi « un état modifié de la conscience ». Pour l’avoir fait, cela m’a rempli d’un grand espoir, à la fois pour ma propre personne, mais aussi pour notre collectivité. Je n’ai hélas plus de temps pour exciter votre curiosité, souvenez vous, nous sommes bien dans un univers matérialiste. Mais je vous souhaite tout de même du fond de mon cœur que vous puissiez vous mouvoir vers cet autre type d’existence. Je vous remercie.

Jacques HONVAULT