Discours inaugural du Conseil Européen de l'Art
C'est avec un grand plaisir que j'ai accepté l'invitation du conseil européen de l'art. Dans un premier temps, j'étais étonné que l'on me fasse un tel honneur. Nous inaugurons tout de même ce soir le Concilio Europeo dell'Arte "made in Paris". Mais après avoir longuement discuté avec Ingrid Brunazzi, j'ai compris à quel point notre vision de l'art et de l'humanisme était proche. J'interviens justement depuis quelques années en milieu scolaire, que cela soit en collège avec une classe d'enfants en difficulté ou même en école d'ingénieurs.
En leur présentant des images insolites aux couleurs chatoyantes, je leur montre que notre quotidien peut être vu avec le regard de l'esthète: un simple cheveu à la surface de l'eau, un subtil craquement d'allumette... Leur surprise est d'autant plus grande, lorsque nous reproduisons ensemble certaines de mes photos: en effet je n'utilise jamais de trucage numérique, juste des astuces d'ingénieur. Je traque la beauté cachée dans des phénomènes trop rapides, trop lents, trop petits ou même immatériels pour être perçus. J'utilise par exemple un micro pour déclencher mon flash et réussir ainsi ma photographie dès le premier essai. Je les initie à la méthode scientifique, et pas à pas, ils surmontent ainsi les difficultés techniques. Libéré de ces contraintes, ils peuvent alors se consacrer à l'essentiel: l'art.
Je leur explique en quoi « la science est mon médium, l'homme mon sujet ». Je photographie des phénomènes de sciences physiques en recherchant des analogies avec des traits humains: l'altruisme, la croyance, la contestation... Nous entrons alors dans un nouvel univers d'expression: comment ce ballon rose permet-il d'approfondir mon point de vue sur la puberté ? Pourquoi ai-je titré cette gerbe d'eau « l'ouverture d'esprit » ? Ils prennent alors conscience que derrière ces jolies images se cachent en fait des œuvres conceptuelles. Ainsi je peux partager mes réflexions sur l'humanisme par le biais de métaphores filées.
Celles-ci vont d'ailleurs me permettre de poursuivre mes recherches transdisciplinaires. Je m'explique. En effet, j'ai remarqué que souvent, lorsque l'on se concentre sur un problème, la solution jaillit plusieurs jours plus tard. Il est probable que notre esprit ait refusée tout d'abord la solution, car elle remettait en cause certains de nos convictions considérées jusqu'alors comme incontournables. Il aura fallu alors attendre que notre esprit baisse la garde à ce sujet pour que la solution émerge par surprise. Dans mon travail artistique, je déploie des comparaisons entre deux univers distinct, l'homme et la science. Plus la métaphore est audacieuse, plus il est probable qu'elle soit utile ; car elle permettra de contourner nos barrières mentales. Mes œuvres d'art questionnent, mais j'ai également l'espoir qu'elles aident parfois à trouver des solutions jusque-là interdites. Mon travail artistique a le statut d'une recherche quasi-scientifique.
Le plus troublant est que je suis un homme de science à l'origine. C'est pourtant bien cette curiosité scientifique qui m'a amené à l'art: ma recherche perpétuelle de la nature des choses m'a plongé dans de nombreuses interrogations. Je suis progressivement passé du statut d' « être possédant » à celui d'« être pensant ». Petit à petit, je me suis désintéressé du monde des objets pour m'intéresser au monde des idées. C'est ainsi que la grandeur de l'art s'est révélée à moi: ce que l'on voit dans un musée n'est pas simplement une toile couverte de peinture mais bien l'expression de l'humain dans toute sa grandeur. C'est à ce titre que l'œuvre d'art acquiert sa valeur. Venant d'un milieu modeste, de nombreuses personnes de mon entourage considèrent que les œuvres d'art sont un luxe et que tout luxe est inconvenant. C'est sans doute pour cela que j'éprouve le besoin de me justifier.
De mon point de vue, l'art est quasiment un impératif écologique: en effet les ressources limitées de notre planète, même en dépit de nos efforts de recyclage, ne permettront pas au consumérisme d'être éternellement une voie d'épanouissement. Que proposer comme alternative à une surconsommation effrénée de produits réalisés à la va-vite ? Nous avons plusieurs exemples ce soir : des créations exceptionnelles de maitres joailliers et des œuvres d'art. L'Artisanat avec un grand A, quand on apprécie à sa juste valeur le travail de l'homme, permet ainsi un système économique qui ne gaspille pas nos ressources. Tant qu'il y aura des hommes et des femmes de talent, et tant qu'il y aura des hommes et des femmes dotés d'une grande sensibilité à la finesse et à l'élégance, un nouvel humanisme est encore possible.
C'est donc avec plaisir que je m'inscris dans la durée dans le grand projet du Conseil Européen de l'Art: relancer au sein de l'Union Européenne la Nouvelle Renaissance, un nouvel humanisme visant à conjuguer Art, Science et Technologie dans un esprit alliant Tradition et Innovation.
L'art et la science contre le chaos, vision d'un ingénieur
Les hommes d'arts et de sciences ont en commun de vouloir étendre les champs de notre esprit : la sensibilité d'une part et nos connaissances d'autre part. Cet objectif a permis un déploiement sans précédent du Beau et de la compréhension du monde. La renaissance Italienne et le siècle des lumières en sont deux magnifiques exemples historiques.
Mais ces deux axes de progrès fondamentaux de notre humanité sont déviés de leur noble tâche aujourd'hui. L'élégance de ces deux disciplines qui flattent les vertus de l'intellect est aujourd'hui mise en arrière plan, le monde étant en proie au consumérisme. Reprenant la beauté pour en faire le design, reprenant la science pour en faire des objets technologiques de dernier cri, les producteurs de ces objets éphémères se soucient-ils assez de l'écologie mise à mal sur le long terme ?
Ainsi, j'ai voulu traduire cette préoccupation dans l'œuvre « souffrance » utilisée ici pour l'affiche de ce congrès. Notre terre, surchauffée de tant de maltraitance, se désagrège tel ce morceau de glace. Et si la situation ne nous apparait pas encore comme dramatique, rappelons-nous que nous ne voyons en fait qu'une faible partie de l'iceberg.
C'est ainsi que je conçois ma mission au Conseil Européen de l'Art : il nous faut œuvrer pour que l'élégance des productions de l'esprit reprenne sa place. La société de consommation étant omniprésente, la tâche sera longue pour que l'envie de comprendre et de ressentir soit remise sur son piédestal.
Maintenant, comment développer ce nouvel humanisme ?
Je vous propose d'exciter la curiosité de notre jeunesse, et ce dès le plus jeune âge. Lui montrer que dès que l'on a appris à affuter son regard, le Beau est en chaque chose. Ici de l'eau coulant d'un robinet, là un cheveu flottant sur de l'eau…
Son attention captée, on peut alors lui enseigner la science cachée dans les phénomènes les plus banals. La méthode d'analyse scientifique n'est-elle pas un outil pour atteindre ce que j'appelle la Magnifi'Science ? De mon point de vue, la perfection des lois de la physique est vraiment d'une troublante beauté.
Le développement de la pensée scientifique, de l'esprit d'analyse, et de l'épanouissement artistique l'aidera ainsi à faire les bons choix, et espérons-le, l'emmènera vers de nouvelles occupations telles que la lecture, la contemplation où la réflexion.
J'ai donc à cœur au CEA de Paris, et ailleurs auprès des partenaires et des collaborateurs du CEA italien, de mettre en œuvre des modules d'initiations et de formations à la culture artistique, philosophique et scientifique. Par une approche pédagogique et ludique, nous entendons leur offrir les ressources intellectuelles pour décupler le pouvoir de l'imagination.
A la recherche de l'origine.
Aujourd'hui, l'astrophysique est mise à l'honneur. La profondeur de cette discipline, cette recherche de l'origine m'a incité à prendre du recul sur notre civilisation. Il m'est apparu que la domination du monde se découpe en 3 grandes ères : la loi du plus fort physiquement, la loi du plus fort statutairement, la loi du plus fort économiquement parlant. Pour essayer de favoriser l'émergence d'une 4ième ère plus favorable à notre futur, j'ai essayé de comprendre pourquoi le monde est aujourd'hui en proie à la loi de la jungle économique.
La théorie de l'évolution de Darwin est souvent assimilée de cette manière : au cours des millénaires, la « sélection naturelle » permet aux « meilleurs espèces » de « survivre », car ce sont elles qui ont su « s'adapter ». En termes de symbole, et dans le contexte du XVIIème siècle, cette phrase peut se décoder ainsi : « Dieu » a offert à « l'homme » la possibilité de « dominer » car il a œuvré en ce sens.
Vous le savez, les organismes vivants sont capables de remplacer leurs cellules des milliards de fois au cours de leur vie et ceci avec une fidélité totale de leur programme génétique. De même, les organismes vivants sont capables de se reproduire pendant des milliers d'années sans aucune modification notable de leur fonctionnement. Aussi, en raison de l'excellence du processus de duplication, les grandes évolutions des espèces ne peuvent provenir que d'une erreur.
Ceci renverse fondamentalement l'interprétation usuelle précitée. En réalité, « Une erreur de retranscription de l'ADN » a créé « la race humaine » qui s'avéra par hasard « plus efficace que les autres espèces ». L'interprétation classique des travaux de Darwin permet aux hommes de se sentir des élus, ils peuvent en être fiers, car ils ont conquis le titre d'espèce dominante. Ils auraient donc ainsi tous les droits sur les autres espèces et sur la nature en général. Il en est de même dans cette jungle économique où le plus fort à tous les droits, même sur ces congénères humains.
Il me semble pour ma part, que les hommes ont juste eu une chance extrême d'avoir pu survivre en accord avec la nature, ceci en raison d'un équilibre subtil… qui semble aujourd'hui très précaire selon les dires des écologistes. Que faire ? Il faut sans doute que l'homme se réinterroge sur sa nécessaire humilité, gage de rapport humain pacifié entre lui, ces semblables et notre monde. Il y aurait-il pour cela une meilleure méthode que de promouvoir l'humanisme ?